Il est à la fois surprenant et navrant d’entendre aujourd’hui certains hauts responsables demander aux Sénégalais des sacrifice alors qu’hier ils gardaient un silence de cathédrale face à la « montée inquiétante de la dette publique ». En effet, l’actuel Secrétaire général du gouvernement et le Ministre des Finances et du Budget, respectivement ancien Directeur national de la BCEAO et ancien Directeur de la planification budgétaire, n’ont jamais, du moins publiquement, tiré la sonnette d’alarme. Pourtant, ils étaient sensés être informé du niveau d’endettement du Sénégal.
La situation serait si grave que l’idée de diminuer les salaires serait envisagée. Une mesure qui, selon les défenseurs de l’orthodoxie budgétaire, permettrait de redresser les finances publiques. Mais à quel prix ?
Une baisse des revenus entraînerait inévitablement une contraction de la consommation nationale, pilier essentiel de la croissance économique. John Maynard Keynes, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, insistait sur le rôle central de la demande globale : « La meilleure manière de relancer une économie, c’est d’augmenter la demande, non de la restreindre. » Une baisse des salaires, en réduisant le pouvoir d’achat, risque donc de plonger le pays dans une spirale récessive.
Plutôt que d’inviter les citoyens à se serrer encore la ceinture, il serait plus juste d’exiger des sacrifices du gouvernement lui-même. Une réduction drastique du train de vie de l’État s’impose : suppression des agences doublons, rationalisation des dépenses publiques ayant essentiellement pour niche la Présidence de la République, la Primature et l’Assemblée nationale, lutte véritable et résolue contre la corruption… Des exemples de réussite existent: le Rwanda, sous la présidence de Paul Kagame, a su réduire les gaspillages de l’administration tout en maintenant une croissance soutenue grâce à une discipline budgétaire rigoureuse et une transparence accrue.
Il est aussi crucial d’envisager des solutions créatives pour stimuler la croissance sans alourdir la dette : développer les partenariats public-privé, promouvoir l’économie numérique et investir massivement dans les secteurs productifs tels que l’agriculture et les énergies renouvelables. Comme le disait Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie : « La croissance économique durable repose sur l’investissement dans les personnes et les infrastructures et non sur l’austérité. »
Au total, il est important de rappeler que le niveau d’endettement d’un pays ne saurait servir d’alibi pour justifier une politique d’austérité injuste. Des nations comme le Japon ou les États-Unis affichent des dettes colossales sans pour autant sacrifier leur modèle social ou leur dynamisme économique. Ce qui compte, ce n’est pas tant le niveau absolu de la dette, mais la capacité du pays à générer suffisamment de richesses pour la rembourser. Ce qui fait dire à l’économiste français Thomas Piketty que : « La dette publique n’est pas un problème en soi, c’est l’absence de croissance et d’équité qui l’est. »
En somme, Mesdames et Messieurs « les très hautes autorités » comme vous aimez vous appeler, vous avez tort de nous demander des sacrifices unilatéraux. L’heure est venue de procéder à une gouvernance exemplaire, seule à même de restaurer la confiance et de relancer durablement l’économie sénégalaise.
Amadou Mbengue membre du Bureau Politique du PIT/ Sénégal et chargé des élections de la Coordination de Rufisque .